Design en transition

Quelques impressions glanées lors de l’incontournable design week de Milan et notamment des Prada Frames, symposium réunissant chercheurs et designers autour de la question de la matière en transformation, du déchet. En marge des principales nouveautés qui se concernent surtout des approches stylistiques, j’ai eu l’opportunité de rencontrer quelques pionniers qui explorent des pistes alternatives, plus soutenables. Une invitation en tant que consommateur, industriel, marque, créateur ou designer à reconsidérer de notre rapport au matériaux, à la matière, au vivant et non vivant.

Désapprendre à jeter. Comme le souligne Justin McGuirk, commissaire de l’exposition « Waste Age » du Design Museum de Londres, après la deuxième guerre mondiale les classes moyennes ont dû apprendre à jeter. De couteuses campagnes publicitaires ont vanté les bienfaits hygiéniques, la facilité d’usage, la libération sociale de la nouvelle société de consommation. Aujourd’hui, nous arrivons à un point où nos déchets deviennent intolérables. Et il ne s’agit pas que des poubelles des consommateurs, quantité négligeable du problème. C’est au contact d’amis éleveurs de moutons que la jeune designer Carolin Schelkle constate que leur laine est jetée. 80% de la laine européenne est détruite faute de filière pour transformer cette matière qui ne répond pas aux standards de la confection. Celle-ci privilégie la laine mérinos importée de Nouvelle Zélande, où elle est produite en masse et nécessitent un long et énergivore processus de transformation. Un défi que Carolin Schelkle relève en développant un processus court de feutrage d’une laine brute et locale à l’aide de robots programmés pour appliquer une variété d’effets de matières et de motifs.

Culture de la réparation. Il est bien sûr préférable de prolonger au maximum la durée de vie de nos équipements plutôt que de les jeter en vue d’un hypothétique recyclage. Au design de l’obsolescence programmé se substitue un design facilitant le soin et la réparabilité. Pour la marque Mammut, les designers Stephan Herger et Helen Grüninger remplacent les étiquettes d’instruction de lavage des vêtements par un QR code. Celui-ci renvoie vers une application qui outre l’impact CO2, détaille comment prendre soin du produit, commander des pièces de rechange, le revendre ou le recycler après usage. Fairphone est un pionnier du mobile réparable et évolutif. Son objectif est de faire changer les pratiques du secteur, une extraction minière et des conditions de travail plus éthique et un équipement qu’on garde longtemps. Seul un smartphone sur 15 est recyclé. L’exportation des déchets, notamment électroniques, vers des contrées pauvres suscite indignation. Pourtant ces déchets représentent une économie de subsistance pour les populations marginalisées. Les chercheurs Patrick O’Hare et Grace Akese ont enquêtés auprès de communautés vivant dans des décharges, respectivement en Uruguay et au Ghana, et mettent en avant le savoir-faire et l’ingéniosité de cette population qui valorise, répare ou transforme. Une pratique qu’il ne s’agit pas d’enrayer pour des questions d’éthique, mais de reconsidérer pour la rendre plus digne. Car c’est une activité économique réelle et utile, qui permet le développement de compétences qui se révèleront précieuses dans un futur plus ou moins proche.

Valoriser les ressources disponibles. Ne trouvant pas de matière première satisfaisant à son éthique, l’architecte-ingénieur Yann Santerre, fondateur de Gwilen, a développé son propre matériaux de construction. Ce natif breton, sensibilisé à ensablement des ports de l’estuaire du Gwilen, met au point un procédé permettant de transformer le sédiment en matière de construction. Gwilen recourt à la diagenèse, procédé naturel, sans cuisson, de transformation de sédiment en roc. Plumes de volailles, coquilles d’huitres, pulpe d’oranges à jus, copeaux de scierie, … la design week a fait découvrir de nombreux projets cherchant à transformer en ressources ce dont la société de consommation ne veut pas et qui est jeté ou brûlé faute de filière.

Le besoin de faire un inventaire méticuleux de nos ressources pour créer. Cette installation présentée dans le lieu d’exposition temporaire d’Acova est particulièrement significative. C’est un inventaire des éléments architecturaux de ce quartier, anciens abattoirs de Milan, désormais en friche. Je ne connais pas les projets de transformation de ce site. La solution habituelle et la plus « rentable » serait de tout déblayer pour du neuf, une autre piste serait de considérer l’existant pour lui donner une nouvelle fonction, histoire ou modernité. La pratique du design est-elle amenée à évoluer en prenant comme point de départ non plus la seule idée ou dessin pour lequel les matériaux adéquats sont sourcés, mais à l’inverse en partant de la matière, d’un inventaire de ce qui est disponible, déjà présent ou à valoriser ? Une réflexion qui ne se limite pas à l’architecture ou au design d’objet, mais aussi à la cuisine de grands chefs. Comme l’a relaté Lara Gilmore, l’aventure des Refettorio, réseau de soupes populaires lancé avec son conjoint Massimo Bottura, chef étoilé a démarré en marge de l’exposition universelle de Milan. Plutôt qu’un autre lieu gastronomique pour des élites, ils ont souhaité valoriser les déchets alimentaires de l’évènement pour les transformer en repas de qualité pour les plus défavorisés. Travailler à partir d’une ressource imprévisible et non standardisée est une contrainte mais se révèle aussi comme source créative. Massimo Bottura a ainsi proposé à la carte de son restaurant étoilé une création élaborée initialement dans un Refettorio, avec un supplément de storytelling.

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